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Idrissa Gueye

Idrissa Gueye : Les propos qui déclenchent la polémique

  • August 9, 2025

Nous sommes en août 2025, et dans le monde du football, certaines controverses laissent une empreinte bien plus durable qu’un but ou un trophée. L’affaire Idrissa Gueye, qui a éclaté en mai 2022, en est l’exemple parfait. Ce n’est pas une déclaration fracassante ou un tacle dangereux qui a mis le feu aux poudres, mais un silence, une absence. Un geste simple – ou plutôt une absence de geste – qui a suffi à déclencher une tempête médiatique et sociétale d’une rare intensité, cristallisant les tensions entre les valeurs du sport, les convictions religieuses et les luttes pour l’inclusion.

Plus de trois ans après les faits, cette polémique continue de diviser et de questionner. Elle a forcé le football français et la société dans son ensemble à se regarder dans le miroir. Cet article se propose de revenir sur les faits, d’analyser en profondeur les arguments des deux camps qui se sont affrontés, et d’évaluer l’héritage de cette affaire qui a transformé un footballeur discret en un symbole malgré lui.


Les Faits : Un Match Manqué, Un Symbole Refusé

Idrissa Gueye
Idrissa Gueye

Pour comprendre l’ampleur de la vague de réactions, il est essentiel de se remémorer le contexte et les faits précis qui ont conduit à l’embrasement médiatique.

Le Contexte : La Campagne de la LFP contre l’Homophobie

Chaque année, à l’approche de la Journée mondiale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie (le 17 mai), la Ligue de Football Professionnel (LFP) organise une journée de championnat dédiée à la lutte contre les discriminations envers la communauté LGBTQ+. Lors de cette journée, tous les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 sont invités à arborer un maillot spécial. En 2022, l’initiative consistait à floquer les numéros des joueurs aux couleurs de l’arc-en-ciel, symbole universel du mouvement LGBTQ+. L’objectif était d’envoyer un message collectif et unifié de tolérance et d’inclusion depuis les terrains de football.

Mai 2022 : Une Absence qui Interroge

Le 14 mai 2022, le Paris Saint-Germain se déplace à Montpellier pour la 37e journée de Ligue 1. Idrissa Gana Gueye, alors milieu de terrain titulaire du PSG, fait le voyage avec l’équipe. Pourtant, au moment de l’annonce de la feuille de match, son nom n’y figure pas. Le club invoque officiellement des “raisons personnelles”. Cependant, cette absence a immédiatement ravivé les souvenirs de la saison précédente, en 2021, où le joueur avait déjà manqué le match dédié à cette même cause, officiellement pour une “gastro-entérite”.

La Confirmation et l’Embrasement Médiatique

La coïncidence était trop grande pour être ignorée. Très rapidement, des médias comme RMC Sport et L’Équipe ont révélé la véritable raison de son forfait : le refus d’Idrissa Gueye de porter le maillot floqué des couleurs arc-en-ciel. L’information a été confirmée à demi-mot par son entraîneur de l’époque, Mauricio Pochettino, qui a évoqué une décision personnelle à respecter. Cette confirmation a été l’étincelle qui a transformé une simple absence en une affaire d’État, déclenchant un débat passionné qui a largement dépassé les frontières du sport.


L’Accusation : Un Geste de Haine ou un Manque de Courage ?

Pour une grande partie de l’opinion publique, des associations et du monde politique en France, le refus d’Idrissa Gueye n’était pas un acte anodin. Il a été interprété comme un geste hostile et discriminatoire.

La Vision des Associations de Lutte contre l’Homophobie

Pour les associations comme Rouge Direct, qui lutte contre l’homophobie dans le sport, le geste de Gueye était inacceptable. Elles ont soutenu que l’homophobie n’est pas une opinion, mais un délit, et que refuser de participer à une campagne de lutte contre une discrimination équivaut à la cautionner, voire à la promouvoir. En refusant de porter ce symbole, le joueur était accusé d’envoyer un message de rejet et d’intolérance à des millions de personnes LGBTQ+ qui suivent le football. L’argument était simple : on ne peut pas choisir les discriminations que l’on combat.

La Réaction du Monde Politique et Sportif Français

La classe politique française s’est rapidement emparée du sujet. Valérie Pécresse, alors présidente de la région Île-de-France, avait qualifié ce refus d'”inadmissible”. La ministre des Sports de l’époque, Roxana Maracineanu, avait également condamné ce geste. Le Conseil national de l’éthique de la Fédération Française de Football (FFF) avait même convoqué le joueur pour qu’il s’explique. Cette mobilisation politique et institutionnelle reposait sur un principe fondamental en France : le sport doit être un vecteur des valeurs républicaines, y compris l’égalité et la non-discrimination.

L’Argument du Devoir d’Exemplarité

Au-delà de l’acte lui-même, c’est le statut d’Idrissa Gueye qui a amplifié la polémique. En tant que star internationale jouant dans l’un des clubs les plus médiatisés au monde, il est un modèle pour des millions de jeunes. Ses détracteurs ont fait valoir que son refus pouvait être interprété par certains de ses fans comme une légitimation des attitudes homophobes. Son “devoir d’exemplarité” en tant que personnalité publique était au cœur des critiques. Son silence était perçu comme un message dangereux envoyé à sa communauté de fans.


La Défense : Au Nom de la Liberté de Conscience et des Convictions Religieuses

Face à ce torrent de critiques en France et en Europe, un contre-récit a émergé, principalement porté par ses soutiens au Sénégal, son pays d’origine.

Un Soutien Massif au Sénégal

Au Sénégal, où Idrissa Gueye est une véritable idole, la perception de l’affaire a été radicalement différente. Une vague de soutien massive s’est organisée sur les réseaux sociaux. La prise de position la plus marquante est venue du plus haut sommet de l’État. Le président sénégalais de l’époque, Macky Sall, avait tweeté son soutien inconditionnel : “Je soutiens Idrissa Gana Gueye. Ses convictions religieuses doivent être respectées.” Ce message a donné une légitimité considérable au camp des défenseurs du joueur.

La Question de la Liberté de Conscience

L’argument principal de ses soutiens reposait sur la “liberté de conscience”. Selon cette vision, Idrissa Gueye, en tant que musulman pratiquant, a le droit de refuser de promouvoir une cause qui, selon son interprétation de sa foi, entre en conflit avec ses convictions religieuses profondes. Forcer un individu à porter un symbole qui heurte ses valeurs a été présenté comme une atteinte à une liberté fondamentale. Le débat s’est ainsi déplacé du terrain de la lutte contre l’homophobie à celui de la liberté religieuse.

“Je ne suis pas homophobe, mais…” : Le Cœur du Débat

Les défenseurs de Gueye ont souvent insisté sur une nuance cruciale : refuser de promouvoir activement une cause n’équivaut pas à être contre les personnes concernées. Selon eux, on pouvait respecter les convictions de Gueye sans pour autant le qualifier d’homophobe. Ils arguaient qu’il n’avait jamais tenu de propos haineux et qu’il fallait distinguer son silence sur ce sujet précis de la haine active. C’est cette distinction qui a été au cœur des désaccords les plus profonds et qui a rendu la conversation si complexe et souvent impossible.


L’Héritage de la Polémique (Perspective 2025)

Plus de trois ans après, les ondes de choc de l’affaire Idrissa Gueye se font encore sentir. La controverse a laissé des traces durables sur sa carrière, sur le football français et sur le débat public.

L’Impact sur la Carrière d’Idrissa Gueye

Peu de temps après cette polémique, à l’été 2022, Idrissa Gueye a quitté le PSG pour retourner dans son ancien club, Everton, en Angleterre. Bien que ce départ ne soit pas officiellement lié à l’affaire, beaucoup d’observateurs estiment que la controverse a rendu sa position intenable à Paris. En Europe, son image a été durablement associée à cette affaire, éclipsant parfois ses performances sportives. Il est devenu, pour beaucoup, le “joueur qui a refusé le maillot arc-en-ciel”.

Les Campagnes de la LFP Post-2022

L’affaire a également eu des conséquences sur les campagnes de la LFP. Les années suivantes, plusieurs autres joueurs, notamment en Ligue 1 et en Ligue 2, ont également refusé de participer à cette journée d’action, citant des raisons similaires à celles de Gueye. La LFP s’est retrouvée face à un dilemme : comment maintenir une campagne forte et unifiée tout en gérant les refus individuels ? Le débat a forcé une réflexion sur la pertinence et la méthode de ces actions symboliques, certains appelant à des actions plus éducatives et moins frontales.

Un Débat de Société Loin d’Être Clos

L’affaire Gueye a agi comme un révélateur des fractures profondes de la société française. Elle a mis en lumière la tension entre l’universalisme républicain, qui prône des valeurs communes s’appliquant à tous dans l’espace public, et le droit à la différence, qui défend l’expression des convictions personnelles et religieuses. Le football, par sa popularité immense, est devenu le théâtre de ce débat de société complexe et loin d’être résolu.

Conclusion

En fin de compte, la polémique Idrissa Gueye est une affaire sans véritable résolution, car elle oppose deux visions du monde difficilement conciliables. D’un côté, ceux qui voient dans son geste un acte de discrimination intolérable et une faillite à son devoir d’exemplarité. De l’autre, ceux qui y voient l’expression légitime d’une liberté de conscience et de convictions religieuses à respecter.

Le silence persistant d’Idrissa Gueye lui-même a été le carburant de cette controverse. En ne s’expliquant jamais publiquement, il a laissé le champ libre à toutes les interprétations, devenant un symbole malgré lui pour deux camps opposés. Plus de trois ans après, son nom reste un point de référence dans les débats sur la laïcité, l’inclusion et le rôle du sport dans la société. L’affaire a prouvé que parfois, un maillot non porté peut faire plus de bruit et soulever plus de questions que n’importe quel discours, laissant une trace indélébile bien après le coup de sifflet final.